On traverse la vie comme un super tanker fend les flots, bousculant tout et tous, ne s’arrêtant que contraint et forcé et après une longue et lente décélération, et puis l’on se retourne et l’on constate les dégâts faits sur son passage.
On a brisé quelques cœurs, déçu quelques proches, renforcé la haine de ses ennemis… ? Dommage, mais il fallait avancer, ne pas se laisser piéger par cette espèce de remue-tripes qui vous refile du vague à l’âme.
Ou bien l’on succombe à cette emprise et l’on devient son esclave, ou bien l’on résiste et l’on continue sa route sans se retourner.
On est un dur ou on ne l’est pas !
Mais parfois, même le plus dur des durs se fait choper par ce sentiment irrationnel.
Putain de romantisme !
J’ai attendu le jour de ma séance de dédicaces à Clamecy avec émotion. Moi, le môme du pays, j’allais revenir sur les lieux de mon enfance heureuse après plus de 50 ans d’infidélité. Revoir les endroits où je jouais bien sûr, mais surtout rencontrer peut-être des Clamecycois de ma génération qui m’auraient connu ou connu ma famille.
Premier choc : la maison de mon enfance, là où je suis né ; tout autour les maisons et façades ont été rénovées, sauf la mienne qui est en ruine mais a conservé son allure du temps où j’y vivais. Comme moi elle est délabrée mais toujours debout, désertée mais toujours présente, défiant ses voisins. Une incongruité.
Deuxième choc : la séance de dédicaces fut très calme, peu de monde, mais surtout aucun Clamecycois !... Alors que, derrière ma table, surveillant l’entrée de la librairie, attendant avec espoir la venue d’un vieux bonhomme qui m’aurait dit : « alors comme ça t’es le fils de …. », je n’ai vu que des parisiens en résidence secondaire. Oh si, un seul Clamecycois pur souche, le fils de mon dentiste, mais il n’a pas été sensible à mon émotion et a rompu la conversation bien vite malgré mon lyrisme. Il s’en foutait de mon émoi.
Putain de romantisme !
L’éloignement et le temps font que l’on idéalise ce que l’on a vécu dans son passé, surtout chez ceux de mon espèce, atteints de bougeotte aiguë et qui n’ont pour bagages que leurs souvenirs. Décevoir ces "durs au cœur tendre" c’est renforcer leurs a priori sur les faiblesses sentimentales. Ils se défendent déjà furieusement contre leurs pulsions irraisonnées, alors la déception apporte de l’eau à leur moulin.
Saloperie de putain de bordel de cœur … !! … mais pourquoi fait-il des cabrioles ainsi dans ma poitrine alors que je ne lui demande rien !?... Fiche-moi la paix !
« Allez Jo, oublie, ce n’est qu’une égratignure de plus » me souffle ma conscience.
Putain de romantisme à la con !